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Le Cardinal Jozeph De Kesel s'exprime... 

L’Église va-t-elle disparaître ? À quoi sert-elle encore ? Les catholiques doivent-ils rechristianiser l’Europe, convertir les musulmans ? Voici autant de questions que le cardinal De Kesel aborde dans "Foi et religion dans une société moderne", un livre de référence qui est sorti récemment.

 

Voici l'interview réalisé par le journaliste Bosco d'Otreppe (La Libre) le 25/05/21 :

Le Cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles, est un homme discret. Depuis qu’il est devenu primat de Belgique en 2015, il a témoigné du regard qu’il portait sur la mission de l’Église à travers différents discours, mais c’est la première fois qu’il synthétise sa pensée dans un ouvrage. Publié cette semaine, son livre “Foi et religion dans une société moderne” (Éditions Salvator) sera une référence pour comprendre l’horizon que se donne l’Église en Belgique. Sur le plan théologique et spirituel, avec une grande clarté, Mgr De Kesel creuse de nombreuses questions sur l'avenir, la mission et la place du catholicisme aujourd'hui.

Vous publiez cet ouvrage, alors que vous guérissez d’un cancer qui vous a tenu écarté de la vie publique. Vous avez accompagné de manière très personnelle la pandémie ?

Nous avons détecté mon cancer alors que nous entrions dans le premier confinement. J’ai ensuite subi trois opérations. Comme la société, j’ai été surpris par la maladie et confronté à ma propre fragilité. Je suis sur le chemin de la guérison, je n’ai jamais perdu l’espoir, mais c’est évident que je resterai marqué par cette épreuve qui m’a aidé à découvrir davantage la richesse et la beauté de l’existence. Chaque matin, je remercie le Seigneur d’être encore en vie.

Une telle maladie change la foi d’un cardinal ?

Oui. Dans le livre de l’Exode de l’Ancien Testament, alors que les Hébreux tentent de rejoindre Jérusalem, ils s’apprêtent à prendre une route directe par le nord. Mais Dieu se fait du souci, car cette route est dangereuse et les Hébreux pourraient trop vite rebrousser chemin. Il les invite donc à faire un détour par le désert. Nous-mêmes, nous souhaitons traverser au plus vite une épreuve pour revenir à une vie normale. Mais Dieu nous fait parfois prendre des détours au long desquels on pourra découvrir des choses importantes pour l’avenir. Cette longue maladie m’a fait redécouvrir les psaumes bibliques. J’ai toujours été attaché à leur lecture, mais j’ai réalisé ces derniers mois que les paroles de ces psaumes étaient mes propres paroles, mon cri, mon angoisse, ma joie, ma gratitude. J’ai trouvé en eux un véritable secours.

L’Église aussi semble traverser une longue crise. Comment décririez-vous l’état du catholicisme en Belgique  ? Est-il en train de disparaître ?

Non, je suis absolument convaincu que ce n’est pas le cas. Pour autant, il s’agit de bien comprendre la crise et l’épreuve que les catholiques traversent. À la suite de la modernité, qui commence pour moi le 24 octobre 1648, avec la paix de Westphalie qui institue la tolérance religieuse, le christianisme a perdu son statut de religion culturelle. Certains voient dans la perte de ce statut, puis dans la sécularisation, l’origine de tous nos maux. Je ne partage pas cet avis. Le christianisme ne peut pas être pleinement lui-même lorsqu’il est la religion hégémonique. Que l’Église traverse donc une crise est indéniable, mais affirmer qu’elle s’achemine vers sa fin est inexact. Elle a changé de statut et doit être à l’écoute des signes des temps pour repenser la façon d’accomplir sa mission. Je suis donc persuadé que la sécularisation offre à l’Église de trouver une place plus ajustée à ce qu’elle doit être.

C’est pour cela que vous distinguez l’évangélisation de la christianisation  ? Que recouvrent ces termes ?

La raison d’être de l’Église est l’évangélisation, c’est-à-dire le témoignage de ce à quoi invite l’Évangile, de l’alliance que Dieu souhaite tisser avec le monde. La christianisation, la volonté de rechristianiser nos régions n’est par contre pas bonne. Une société qui s’identifie à une seule religion ne permet pas aux hommes d’être libres, notamment vis-à-vis de la foi. Or, Dieu veut tisser avec les hommes une relation d’amour. Et l’amour sans la liberté n’est rien. L’Église doit donc témoigner, mais ne rien imposer et ne pas s’imposer. Ce serait un contresens.


Dans votre conclusion, vous écrivez que l’Église doit être confessante, accueillante, mais qu’elle doit être plus petite, plus humble, car elle représente un “point de vue”, une “possibilité” parmi d’autres. Certains pourraient vous taxer de relativisme… L’Église n’a-t-elle rien de spécifique à proposer, au point d’être une option parmi d’autres  ?

Ce n’est pas ce que je dis. L’Église ne peut pas redevenir hégémonique, mais elle doit rester elle-même, car elle a à témoigner de quelque chose de spécifique : que Dieu se soucie des hommes, qu’il pense à eux, qu’il rêve de partager une amitié avec eux, qu’il désire les rencontrer, qu’il leur a tout donné. C'est un Dieu d'alliance, et c’est cela le cœur et la spécificité de la foi chrétienne.

 

Mais si ce message est si important aux yeux des catholiques, peut-il se contenter d’être un point de vue parmi d’autres  ?

 

Ce que je veux dire, c’est que l’Église ne témoignera de ce message que si elle le vit en son sein, et qu’elle se montre accueillante tout en laissant les hommes libres. Dieu aurait pu nous créer croyants, mais il a voulu que la foi soit une réponse personnelle et libre. C’est un Dieu discret. J’aime dire que là où elle est, l’Église est signe de la relation d’amour que Dieu veut tisser avec sa création. Pour autant, si l’Église doit être à l’écoute de son époque, cela ne veut pas dire qu’elle doit accepter tout ce qui y est présenté comme un progrès, car la sécularisation est propice à la foi chrétienne, mais non le sécularisme.

 

Quelle est la différence  ?

La sécularisation est un cadre qui permet de vivre la tolérance. Le sécularisme est la radicalisation de cette sécularisation. C’est le début de la pensée unique. C’est un laïcisme qui rejette le religieux en le renvoyant exclusivement dans la sphère privée, comme s’il n’avait rien à apporter à la recherche collective du bien commun.

Considérez-vous que la société belge prend le chemin du sécularisme  ?

La tendance existe. Il y a dans notre pays un laïcisme dogmatique qui souhaite privatiser la religion. Je m’y oppose. La modernité s’est construite notamment autour des notions de liberté et de progrès, mais elle n’est pas capable, seule, de donner un sens à cette liberté et ce progrès. Elle a besoin pour cela du concours des religions qui sont sources d’engagement, d’espérance et de sens. La modernité est un cadre, mais elle ne peut pas devenir une conception de vie globale, une idéologie qui ne supporte aucune diversité et qui ne reconnaît pas ses propres limites.

 

En refusant que la religion soit réduite à la sphère privée, vous vous opposez à l’inscription de la laïcité dans la Constitution  ? À la suppression des cours de religion dans l’enseignement  ?

Oui. Je ne demande aucun privilège, simplement que l’on puisse reconnaître que les religions sont partie prenante de la société et qu’elles lui sont nécessaires. Regardez combien de chrétiens s’investissent pour le bien de la société au nom de leur foi. Voyez aussi à quel point le christianisme peut aider la modernité à penser les questions qui la traversent. Il faut clairement séparer l’Église de l’État, mais il n’y a pas de séparation possible entre le chrétien et le citoyen. De même que si l’Église n’a aucun pouvoir politique, elle appartient bel et bien à la société civile, elle ne constitue pas un monde à part. La société a intérêt à valoriser la présence des religions. Seule, elle ne peut combler la soif de sens, et la privatisation des religions risque de créer un vide qui de toute manière sera comblé, parfois de manière extrême.

 

Ces derniers mois en Belgique, on a cependant peu entendu l’Église et les catholiques pour aider la société à penser ce qui lui arrivait…

Nous sommes intervenus, mais oui, nous aurions peut-être dû en tant qu’Église participer davantage au débat public. Mais ce n’est pas trop tard. Il est important que les catholiques fassent entendre leur voix qui, sur certaines questions, est dissonante.

L’Église est fragile, blessée, elle n’a pas toujours témoigné de l’Évangile… À l’heure où beaucoup souhaitent vivre leur foi de manière individuelle, peut-être plus libre, à quoi bon défendre une institution faillible et lourde ?

Dans cent ans, nous n’aurons sans doute plus besoin de toutes les structures que comprend l’institution aujourd’hui. L’essentiel sera la foi que les hommes pourront vivre. Mais cette foi ne peut se vivre de manière individualiste. On ne peut pas vivre sa foi tout seul. On a besoin d’une fraternité, d’une communauté. Tel est le sens de l’Église. Quand Jésus appelle ses apôtres, ce n’est pas seulement tant pour avoir de l’aide, mais aussi pour pouvoir vivre l’Évangile et la fraternité avec ses disciples dans l’amitié. Certaines structures de l’Église évolueront, mais pas sa nécessité.

 

Comment se passe le dialogue interreligieux en Belgique  ?

Nous avons de bons contacts, nous nous voyons régulièrement avec les différents cultes. Le Grand Rabbin de Bruxelles me téléphone régulièrement pour prendre des nouvelles par exemple, et on prie pour moi à la synagogue. Nous tissons beaucoup de liens.

Vous consacrez de nombreuses pages aux relations avec l’islam. Que doit faire un catholique face à un musulman, le convertir car sa religion est meilleure que la sienne  ?

Il doit le rencontrer, sans aucune idée derrière la tête si ce n’est le désir de tisser une amitié profonde. La rencontre ne se fait jamais en fonction d’une tactique pour convaincre ; la rencontre a de la valeur en elle-même, pour autant que chacun reste profondément tel qu’il est et qu’un catholique, par exemple, ne joue pas au musulman. Dans la rencontre vraie, tout peut alors se passer, et c’est Dieu qui agit. Je repense souvent à Christian de Chergé, un moine de Tibhirine en Algérie qui avait tissé une relation d’amitié avec un musulman. Un jour, ce musulman a donné sa vie pour sauver Christian de Chergé. Et c’est là qu’il a vraiment compris ce à quoi invitait Jésus. C’est grâce à cette rencontre qu’il est devenu moine et homme de prière. Un chrétien ne peut jamais croire qu’il peut donner la foi à un autre. Il lui revient de témoigner de sa foi, de vivre une amitié sincère, puis de laisser Dieu agir. Je ne dis pas que l’Église doit devenir une communauté monastique, mais je trouve que les moines de Tibhirine, connus par l’amitié qu’ils ont tissée en Algérie, par leur martyre puis par le film Des hommes et des dieux, offrent un beau témoignage de ce que peut être l’Église. Une église priante, fidèle à elle-même, humble, mais présente partout où c’est possible pour vivre une amitié avec ceux qui l’entourent et être témoin d’une espérance.

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